Focus Play Suisse: que fait au juste un designer UX?

Actualités 30.11.2020

Un produit non seulement abouti, mais aussi convivial: voilà ce qu'attendent les utilisatrices et les utilisateurs d'une plateforme de streaming. Si tel n'est pas le cas, c'est la voie assurée vers la concurrence. Léo Marti, l'User Experience Designer (designer UX) responsable de la nouvelle plateforme de streaming, se prête au jeu de l'interview sur l'expérience utilisateur Play Suisse et nous explique pourquoi la ressemblance avec d'autres plateformes de streaming bien connues est voulue et assumée.

Léo, en tant que designer UX, comment avez-vous procédé avec Play Suisse?

Idéalement, on est impliqué dans les projets dès leurs débuts, avant même que les décisions techniques clés ne soient prises. Et cela a bien été le cas avec Play Suisse. Dans une première étape, il a fallu cerner les besoins que les utilisatrices et les utilisateurs ont par rapport à une plateforme de streaming. Puis recruter des personnes utilisant des plateformes existantes et leur poser une multitude de questions pour mieux comprendre leurs attentes implicites, ce qui les frustre dans les offres actuelles et la manière dont elles dénichent de nouveaux contenus. C'est sur cette base que nous avons développé une première ébauche de plateforme.

Quelles clés vos interviews vous ont-elles fournies?

Nous avons analysé nos observations dans le cadre d'un atelier et identifié quatre types d'utilisateurs (ou personas):

  1. Les impatient.es – souvent des jeunes – qui souhaitent accéder rapidement aux contenus et qui, sinon, repartent vite. Ils ou elles privilégient les contenus brefs, qu'il.elles visionnent tout en discutant sur les médias sociaux. Les impatient.es consomment essentiellement les contenus sur ordinateur portable.
  2. Les multitaskers, qui ont toujours beaucoup à faire et consomment les contenus tout en faisant autre chose, par exemple en allant au travail. Souvent, ils ou elles se contentent d'écouter le son et ne regardent leur écran que pour les scènes intéressantes.
  3. Les friendlies, qui suivent les recommandations de leurs connaissances et discutent des contenus avec leur cercle d'ami.es. Mais il.elles suivent peu les recommandations automatiques.
  4. Les autodidactes, qui attendent des contenus qu'ils leur fournissent des informations de fond. Il.elles lisent les critiques et s'informent sur les émissions et les films – films qu'il.elles préfèrent d'ailleurs aux séries.

En connaissant les besoins et les buts de ces quatre groupes-cibles, nous sommes mieux à même de prendre les bonnes décisions dans le développement de produits conviviaux et ce, dès le lancement d'un projet.

Quels autres enseignements avez-vous tirés des retours de vos utilisateur.trices test?

Leurs retours nous ont permis de formuler les grands axes de la plateforme, ce que nous appelons les six «experience principles». Lorsqu'il.elles visitent notre plateforme, les utilisateur.trices doivent pouvoir s'immerger dans les contenus, tout comme avec la télévision, et s'approprier les meilleurs films suisses. Sous les derniers films sortis, apparaissent directement les séries qui viennent d'être lancées. Notre public ne doit pas sentir la complexité qui se cache derrière Play Suisse. Sur la plupart des plateformes, c'est le principe «mobile first» qui prévaut. Pour notre part, nous avons opté pour la variante «TV first», les films étant plus percutants sur de plus grands écrans, sans compter que le design fonctionne lui aussi mieux en grand format. Enfin, ce qui importe le plus, c'est que Play Suisse est accessible à tous: grâce au sous-titrage des films et à l'audiodescription, même les personnes ayant une déficience sensorielle peuvent naviguer sur la plateforme.

«Pour notre part, nous avons opté pour la variante «TV first», les films étant plus percutants sur de plus grands écrans.»

 

Et ensuite?

Sur la base des quatre profils types et des six «experience principles», conjointement avec les membres des équipes Content, Product et Marketing, nous avons créé plusieurs variantes de prototypes. Nous les avons soumises aux utilisateur.trices test et, après plusieurs sessions itératives, les développeurs ont conçu un produit que nous avons rendu accessible à un groupe de collaborateurs et de collaboratrices internes. Il.elles ont pu naviguer entre les prototypes, donner leur feed-back à l'aide d'un simple bouton, et ont aussi répondu aux questions qui apparaissaient sur leur écran dans certaines situations – des questions diverses et variées comme, par exemple, de savoir si un trailer leur avait plu ou si des améliorations étaient possibles. C'est ainsi que nous avons réalisé que les utilisateur.trices de la plateforme multilingue devaient tout d'abord lancer les vidéos pour en connaître la langue originale. Et qu'il était difficile de voir dans quelles langues les sous-titres étaient disponibles.

Comment avez-vous résolu ce problème?

Nous avons organisé un autre atelier interdisciplinaire et analysé en détail les points soulevés. Chacun a dû esquisser sa solution sur une feuille de papier. Les propositions ont été présentées et évaluées en plénum. La solution qui en est ressortie est en fait un amalgame de différentes approches. Aujourd'hui, les utilisatrices et les utilisateurs savent au premier coup d'œil si un film est proposé dans leur langue en version originale et, dans le cas contraire, si des sous-titres sont disponibles.

Quelles différences y a-t-il entre Play Suisse et d’autres plateformes de streaming, comme par exemple le BBC iPlayer?

A l'origine, comme le Play RTS, le BBC iPlayer a été conçu pour diffuser numériquement les contenus du programme TV linéaire, mais ces contenus n'étaient souvent disponibles en ligne que durant sept jours. La première plateforme était en quelque sorte la télévision elle-même. Avec Play Suisse, la grande différence est que, dès le départ, la plateforme a été disjointe du programme TV linéaire. Ainsi, elle ne s'adresse pas en premier lieu aux téléspectatrices et téléspectateurs. Et l'on ne doit pas forcément regarder la télévision suisse pour comprendre et utiliser la plateforme. L'idée est que le public s'approprie de nouveaux contenus.

La ressemblance entre Play Suisse et d'autres plateformes internationales est frappante. Pourquoi ce choix?

Prenons l'exemple de la voiture: toutes les marques se ressemblent pour ce qui est des éléments de base. L'accélérateur est à droite, l'embrayage à gauche et le frein au milieu. Tout.e conducteur.trice s'y retrouve. Si une marque décidait d'inverser les gaz et les freins, tout le monde serait perdu. C'est la même chose pour Play Suisse. La plupart des consommateur.trices savent comment fonctionnent d'autres plateformes bien établies. Avec notre produit, nous ne voulions pas réinventer la roue. Nous avons donc repris les codes déjà connus et les avons soumis à des utilisateur.trices test. Presque tou.tes ont apprécié la ressemblance avec une certaine célèbre plateforme de streaming américaine. Comme je l'ai dit plus haut, nous avons toutefois modifié quelques points. Compte tenu du temps de développement à disposition, nous nous sommes limités aux fonctions clés et les avons repensées pour un fonctionnement optimal.

En quoi la plateforme Play Suisse se distingue-t-elle d'autres géants du streaming audiovisuel?

C'est avant tout le branding, et bien entendu les contenus, qui différencient Play Suisse d'autres plateformes internationales. On ne regarde pas Play Suisse pour les mêmes raisons que l'on regarderait un service de streaming américain, où presque aucun contenu suisse n'est proposé. Les plateformes commerciales tentent de faire consommer à leurs abonné.es le plus possible en proposant surtout du contenu de divertissement. Alors que notre but, mis à part le divertissement, est aussi d'informer et de contribuer à la formation de notre public.

Quel est le plus grand défi de ce projet?

Il y en a deux, en fait: d'une part, nous avons eu à peine plus d'un an pour mettre sur pied la plateforme, et d’autre part, nos ressources étaient limitées. Dans le domaine du design, ma collègue Lydie Perret et moi formons un tandem: elle travaille à 80 % et moi à 50 %. Mais c'est aussi un avantage d'être une petite équipe. Nous sommes très différents l'un.e de l'autre. Le contenu représente aussi un défi: s'il est bon, alors peu importe que le produit final – la plateforme – soit un peu meilleur ou non. Les utilisateur.trices viennent à la plateforme pour les contenus qu'elle propose, non l'inverse.

«Il y en a deux grands défis, en fait: d'une part, nous avons eu à peine plus d'un an, et d’autre part, nos ressources étaient limitées.»

 

Qu'est-ce qui vous tient personnellement à cœur dans ce projet?

Ce qui compte pour moi, c'est qu'avec Play Suisse nous devenions intéressants aux yeux des utilisatrices et des utilisateurs qui ne consomment plus la télévision linéaire – les jeunes en particulier. Les contenus de la plateforme sont passionnants, mais aussi informatifs et riches en enseignements. J'espère aussi que la méthode de travail choisie inspirera davantage d'autres départements, et qu’ils intégreront plus souvent et plus tôt l'avis des utilisateurs et des utilisatrices dans le développement des produits. Faire de l'UX design, ce n'est pas seulement choisir des couleurs ou une police d'écriture pour des pages web. C'est surtout concevoir une expérience utilisateur complète, qui serve le but du produit et soit divertissante.