Les femmes aux fourneaux plutôt qu'au bureau

Actualités 14.06.2019

Licenciement en cas de mariage? Interdiction de prendre le volant? Un salaire maximal plus de deux fois moins élevé que celui des hommes? Aujourd'hui, c'est inimaginable. Mais il n'y a pas si longtemps, c'était une réalité pour les collaboratrices de la SSR. A l'occasion de la «grève des femmes» nationale, la SSR jette un œil dans ses archives.

«Eloigner les femmes de leur foyer, c'est mettre à mal tout l'équilibre de la famille. La place de la femme est auprès de ses enfants, non devant une machine à écrire», peut-on lire dans un document de la SSR datant de 1951. L'auteur de ces lignes est le directeur administratif de la Direction générale. Selon lui, la femme mariée devrait, «comme le veut sa nature», consacrer son temps à sa famille. «D'un point de vue social, il convient de s'opposer au double salaire», poursuit-il. Si les femmes continuaient d'exercer une activité rémunérée une fois mariées, ce serait la porte ouverte à tous les abus. 

Mariage = fin du contrat

Extrémiste, ce directeur? Pas particulièrement: il se contentait de citer les «raisons générales» pour lesquelles la SSR souhaitait continuer à appliquer la décision, prise en 1935, selon laquelle «les collaboratrices […] désirant se marier soient tenues de quitter l'entreprise dans les 6 mois». Ce n'est que dans les cas où l'on manquait de candidats pour la remplacer qu'une femme pouvait conserver son poste une fois mariée. Ou alors son contrat était modifié pour la faire passer d'un poste fixe à une fonction d'auxiliaire. C'est ce que précise le studio radio de Berne en 1947, lors de l'embauche de deux secrétaires mariées: «Ce sera le cas dès que les postes pourront être réattribués à des célibataires au profil à peu près équivalent.»

Et le directeur d'énoncer les autres raisons s'opposant à ce qu'une femme mariée poursuive son activité professionnelle: «Ce n'est un secret pour personne que des difficultés organisationnelles, et surtout personnelles, peuvent survenir lorsque époux et épouse travaillent ensemble à la radio. Or ces situations pourraient se multiplier si l’on permettait aux collaboratrices SSR de conserver leur poste une fois mariées, car l'expérience montre que les mariages entre collaborateurs d'un même studio sont monnaie courante». Il encourage donc à maintenir une «pratique établie et qui a fait ses preuves», car la modifier créerait «une injustice envers celles qui s'y sont jusqu'alors pliées».

A travail égal, salaire... inégal

Depuis la création de la SSR, en 1931, les collaboratrices ne dépassaient en général pas la huitième classe de salaire, ce qui correspondait à un salaire annuel maximal de 6000 francs, contre les 15 000 francs de la classe salariale la plus élevée. Le président central pouvait exceptionnellement s'affranchir de ce règlement, mais cela n'était pas sans provoquer de contestation. C'est ainsi qu'en 1937, un représentant de l'autorité de surveillance des Postes et des télégraphes s'est opposé au passage de Mademoiselle H., cheffe comptable de la SSR, et de Madame K., cheffe de service de la transmission à l'étranger de la SSR, à la sixième classe salariale. Raison invoquée: si ces postes étaient réellement aussi importants, ils devraient être occupés par des hommes.

Mais le directeur général à la tête de la SSR à cette époque-là a soutenu cette promotion: certes, «en ces temps de chômage masculin élevé, il [allait] de soi que la main d'œuvre féminine doive laisser la place aux hommes»; en outre, «un salaire annuel de 6000 francs [représentait] une bonne rémunération pour une femme». Cependant, il estimait «injuste d'exiger du personnel féminin de fournir des prestations d'excellence tout en refusant de rétribuer son savoir et son travail à leur juste valeur». Et puis, parviendrait-on vraiment à trouver «un successeur masculin aussi compétent»? Et enfin, à supposer que l'on trouve un candidat pour le poste de chef comptable, il faudrait «non seulement lui verser un salaire beaucoup plus élevé (classe 4), mais aussi prévoir qu'il exigerait certainement une secrétaire pour sa correspondance et ses réservations».

Dans les années 1950, l'inégalité salariale entre femmes et hommes à la SSR est une évidence tout à fait admise: «La famille est le fondement de l'Etat. C'est l'homme qui subvient aux besoins de la famille. Normalement, la femme n'exerce une activité professionnelle que jusqu'au jour où elle se marie, soit pendant une courte durée. Seules ses propres dépenses doivent donc être couvertes avec son salaire». Voilà ce qu'illustre la «classification des fonctions» de la SSR dans les années 50. Il est donc à l'époque tout à fait «justifiable, raisonnable et conforme aux usages» d'accorder aux femmes une part plus faible de la masse salariale. Sans parler du fait qu'une «activité professionnelle trop bien rémunérée pourrait éloigner les femmes du mariage».

Interdiction d'épouser un collègue et de conduire une voiture de service

«Nous avons l'intention de ne pas renouveler les contrats de travail de Mesdames X. et Y. au 1er janvier 1958», déclare le directeur de la Schweizer Fernsehen à la Direction générale. Raison: elles ont toutes deux épousé un collègue. Or, à la Schweizer Fernsehen, il était «par principe interdit» d'embaucher des couples mariés. Il serait cependant possible d'employer ces deux femmes ponctuellement «pour des remplacements en cas de maladie ou de congés et lors des périodes demandant plus de ressources». On ne voulait – ou pouvait – tout de même pas renoncer totalement aux services de ce «personnel expérimenté».

Février 1971: les femmes peuvent voter, mais toujours pas conduire les véhicules de la SSR. Ce n'est que deux ans plus tard que le responsable du garage de la DRS en demande l'autorisation: «Il serait vraiment pratique que les femmes reporters et photographes puissent emprunter un véhicule de service pour se rendre rapidement sur le lieu d'un événement.» La Direction générale accepte sa demande, car «le mouvement général vers l'émancipation ne s'arrête pas devant les collaboratrices de la télévision». 

L'égalité hommes-femmes à la SSR

Depuis lors, la SSR a connu un changement majeur dans le domaine de l'égalité des genres. Mais nous avons encore du chemin à faire.

Où en est-on aujourd'hui?

  • 43 % des collaborateurs sont des femmes.
  • 29 % des cadres sont des femmes.
  • 74 % des collaboratrices travaillent à temps partiel, contre 42 % chez les collaborateurs.
  • A la SSR, les salaires des femmes sont inférieurs de 2,4 % par rapport à ceux des hommes. Une partie de cette différence s'explique par des facteurs non discriminants – les indemnités pour travail de nuit et du week-end en particulier, qui concernent avant tout les hommes. Sans ce facteur, la différence salariale ne serait plus que de 1,5 %. 

Les actions concrètes de la SSR

  • La SSR se penche chaque année sur les différences de salaire entre les genres au moyen de l’outil d’autocontrôle mis à disposition par la Confédération (Logib).
  • Le Conseil d'administration a pour objectif de faire passer la part des femmes parmi les cadres à 30 %. Pour ce faire, la SSR a déjà mis en œuvre différentes mesures: formulation non sexiste des descriptifs de postes, examen d'un possible temps partiel pour chaque poste d'encadrement, et adhésion, en 2015, au réseau de femmes cadres «Advance Women in Swiss Business».
  • Le réseau «idée femme», qui a été créé récemment, s'engage pour relayer les demandes des collaboratrices de la SSR. Il vise à promouvoir l'égalité des chances sur les plans de l'évolution professionnelle, du salaire et de la visibilité.